Les hirondelles
(RANDONS)
Chaque hirondelle inlassablement se précipite ― infailliblement elle s'exerce ― à la signature, selon son espèce, des cieux.
Plume acérée, trempée dans l'encre bleue noire, tu t’écris si vite ! Si trace n'en demeure… Sinon, dans la mémoire, le souvenir d'un élan fougueux, d'un poème bizarre, Avec retournements en virevoltes aiguës, épingles à cheveux, glissades rapides sur l'aile, accélérations, reprises, nage de requin. Ah ! Je le sais par cœur ce poème bizarre ! Mais ne lui laisserai pas, plus longtemps, le soin de s'exprimer. Voici les mots, il faut que je les dise. (Vite, avalant ses mots à mesure.) L'Hirondelle : mot excellent ; bien mieux qu'aronde, instinctivement répudié. L'Hirondelle, l'Horizondelle : l'hirondelle, sur l'horizon, se retourne, en nage-dos libre. L'Ahurie-donzelle : poursuivie, ― poursuivante, s'enfuit en chasse avec des cris aigus.
Flèche timide (flèche sans tige) ― mais d'autant véloce et vorace ― tu vibres en te posant ; tu clignotes de l'aile. Maladroite, au bord du toit, du fil, lorsque tu vas tomber tu te renvoles, vite ! Tu décris un ambage aux lieux que de tomber (comme cette phrase). Puis, ― sans négliger le nid, sous la poutre du toit, où mes mots piaillent : la famille famélique des petits mots à grosse tête et bec ouvert, doués d'une passion, d'une exigence exorbitantes ― Tu t'en reviens au fil, où tu dois faire nombre. (Posément, à la ligne.)
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Francis Ponge, « Les hirondelles », in Pièces, Œuvres complètes, I, Gallimard nrf, Bibliothèque de la Pléiade, 1999, pp.