Dans la deuxième partie, « Écrire », Sartre nous transmet sa perception de l’écriture et de la création littéraire. L’extrait que nous nous proposonsd’analyser est une partie de l’excipit de la partie susmentionnée. Nous y verrons comment Sartre, par la narration de ses souvenirs d’enfance, tente de répondre à la question : « Comment suis-je devenu écrivain ? » Dans un premier temps, nous analyserons sa relation à l’écriture et dans un second temps, nous conduirons une réflexion sur son écriture et son métier d’écrivain.
La création littéraire estune forme de liberté, une possibilité donnant à son esprit d’enfant de vivre des aventures à travers ces personnages, ces héros de papier, « Grisélidis, Pardaillan et Strogoff ». Mélancolie du passé d’un Sartre vieillissant et peut-être aussi à la recherche d’un temps révolu pour lui.
Sartre a déclaré que Les Mots représentait « un adieu à la littérature » ; lui-même y raconte la genèse decelle-ci, qui a grandi en lui. Or, dans cet extrait, il écrit : « Je fais, je ferai des livres, il en faut ; cela sert tout de même », ce qui montre bien que l’écrivain n’en a pas terminé –par l’emploi du futur « ferai » – avec la littérature. Si dans un premier point, il nous semble désabusé – « c’est mon habitude », « c’est mon métier », insistant sur une certaine banalité de l’écriture et sonnantcomme un gagne-pain –, lui-même se qualifie de littérateur[1], méfiant envers lui-même : « Jamais je ne me suis cru l’heureux propriétaire d’un talent, ma seule affaire était de me sauver. » Se sauver de sa personne, de ses idées, comme dans un tour de magie, « rien dans les mains, rien dans les poches », simplement en étant un artisan de l’écrit, « par le travail et la foi », dans les livres qu‘ilconsidérait comme sacrés ; se sauver de cette « habitude ».
Par son enfance et sa relation avec les livres « sacrés » ainsi qu’avec la bibliothèque de son grand-père, donc par vocation familiale, il est avant tout un écrivain au sens classique du mot.
D’ailleurs, il rajoute : « Jamais je ne me suis cru l’heureux propriétaire d’un talent, l’écriture est une planche de salut, ma seuleaffaire était de me sauver. » Se sauver de quoi ? De son entourage ? Ou plutôt de lui-même, puisqu’il se considère « comme un vieux bâtiment ruineux, une imposture, mais pas n’importe laquelle, mon imposture » (mais par rapport à qui, à quoi ?). C’est ce qui lui permet de « guérir d’une névrose », mais « pas de soi », laissant pressentir un dégoût de sa personne ; l’écriture y apparaît comme le seul etunique moyen de se préserver de la maladie.
L’écriture lui permet de défendre ses idées, mais aussi de faire un travail sur lui-même : « Usés, effacés, humiliés, rencognés, passés sous silence, tous les traits de l’enfant sont restés chez le quinquagénaire. » Il insiste sur la présence, l’influence de l’enfant, de ses « héros qui s’aplatissent dans l’ombre » et qui, « dans l’ombre »,« guettent », tels des animaux sauvages, pour lui rappeler qu’il est voué à l’écriture dès son enfance ; pourfendant le mal dans ces récits infantiles, il pourfend aussi l’idéologie et la philosophie. Enfant, il a donc découvert la littérature comme un sauvetage et « le moyen de s’approprier le monde »[2], d’inventer des histoires dont il était le héros, justifiant ainsi sa propre existence : « Ce que...