Les regrets
Très cher fils,
[...] bien que feu mon regretté père Grandgousier eût déployé tous ses efforts pour que je progresse en perfection et savoir politique, et que mon labeur et mon étude correspondissent bien à son désir et même l'aient dépassé, l'époque toutefois, comme tu peux bien le comprendre, n'était pas aussi opportune ni commode pour étudier les lettres qu'elle l'est à présent, et il n'existait alors aucun précepteur qui puisse ressembler à ceux que tu as eus. Les temps étaient encore ténébreux, ils sentaient l'infélicité et la calamité des Goths, qui avaient ruiné toute bonne littérature. Mais, grâce à la bonté divine, la lumière et la dignité ont été à mon époque rendues aux lettres, et j'y vois de tels progrès qu'il me serait aujourd'hui difficile d'être reçu dans la première classe des petits écoliers, moi qui, dans mon âge mûr, étais réputé (non à tort) comme le plus savant du siècle. [...] Maintenant toutes les disciplines sont restaurées, les langues mises à l'honneur : le grec, sans lequel il est honteux qu'on se dise savant, l'hébreu, le chaldéen, le latin. Des livres imprimés, fort élégants et corrects, sont utilisés partout, qui ont été inventés à mon époque par inspiration divine, comme inversement l'artillerie l'a été par suggestion du diable. Le monde entier est plein de gens savants, de précepteurs très doctes, de bibliothèques très vastes, au point qu'à l'époque de Platon, de Cicéron ou de Papinien, il n'y avait, à mon avis, autant de commodité d'étude qu'il s'en rencontre aujourd'hui; et il ne faudra plus dorénavant trouver en lieu et compagnie qui ne sera bien poli dans