Les singes de la fontaine
Ecole Normale Supérieure de Lyon
Les singes de La Fontaine
Le XVIIe siècle acclimate le singe à la vie domestique. Les peintres introduisent dans leurs vanités de minuscules “capucins” à l’assaut des pyramides de fruits : de la nature supposée diabolique de l’animal ne subsiste qu’une chatoyante représentation du péché de gourmandise. Le roman comique relègue cette croyance parmi les superstitions d’un autre âge et s’amuse à voir dans le singe la dégradation bouffonne de la figure humaine. Cette aptitude imitatrice est exploitée par les montreurs de foire qui produisent sur leurs tréteaux en plein air des singes costumés en gentilshommes, avec bottes, chapeau, cape et épée. L’imitation fait recette, car les badauds bon public veulent croire à l’illusion. En témoigne l’anecdote qui circule à travers le siècle sur Cyrano de Bergerac embrochant par méprise le singe de Brioché. Les accoutrements se diversifient dans des scènes de genre où les singes font la satire les activités humaines. Le peintre hollandais David Téniers transpose en “singeries” la peinture du quotidien. Plus tard Christophe Huet décore de scènes exotiques avec singes le château de Chantilly et l’hôtel de Rohan. Watteau et Chardin réduiront les activités simiesques à la sphère artistique, par retournement ironique de l’adage ars simia naturae. Car le singe représenté dans la posture du peintre, du sculpteur ou de l’écrivain ne réinjecte pas de la nature dans le geste artistique, mais accuse, par l’imitation, son poids de convention. L’animalité se perd dans l’imitation de l’homme. Charles Le Brun exploite la veine en construisant par étapes le passage de la figure animale au visage humain. Or, dans le cas du singe, nul besoin de distordre des traits naturels qui composent spontanément un masque humain de carnaval. Le singe s’offre naturellement comme point de coïncidence du règne animal et de l’espèce humaine : bien avant Darwin, l’évidence s’impose à la vue,