Les thèmes de candide
[514a] Maintenant, repris-je, pour avoir une idée de la conduite de l’homme par rapport à la science et à l’ignorance, figure-toi la situation que je vais te décrire. Imagine un antre souterrain, très ouvert dans toute sa profondeur du côté de la lumière du jour ; et dans cet antre des hommes retenus, depuis leur enfance, par des chaînes qui leur assujettissent tellement les jambes et le cou, qu’ils ne peuvent ni changer de place [514b] ni tourner la tête, et ne voient que ce qu’ils ont en face. La lumière leur vient d’un feu allumé à une certaine distance en haut derrière eux. Entre ce feu et les captifs s’élève un chemin, le long duquel imagine un petit mur semblable à ces cloisons que les charlatans mettent entre eux et les spectateurs, et au-dessus desquelles apparaissent les merveilles qu’ils montrent. Je vois cela. Figure-toi encore qu’il passe le long de ce mur, des hommes [514c] portant des objets de toute sorte qui paraissent ainsi au-dessus du mur, des figures d’hommes [515a] et d’animaux en bois ou en pierre, et de mille formes différentes ; et naturellement parmi ceux qui passent, les uns se parlent entre eux, d’autres ne disent rien. Voilà un étrange tableau et d’étranges prisonniers. Voilà pourtant ce que nous sommes. Et d’abord, crois-tu que dans cette situation ils verront autre chose d’eux-mêmes et de ceux qui sont à leurs côtés, que les ombres qui vont se retracer, à la lueur du feu, sur le côté de la caverne exposé à leurs regards ? Non, puisqu’ils sont forcés de rester toute leur vie [515b] la tête immobile. Et les objets qui passent derrière eux, de même aussi n’en verront-ils pas seulement l’ombre ? Sans contredit. Or, s’ils pouvaient converser ensemble, ne crois-tu pas qu’ils s’aviseraient de désigner comme les choses mêmes les ombres qu’ils voient passer ? Nécessairement. Et, si la prison avait un écho, toutes les fois qu’un des passants viendrait à