Lete meurtrier Sebastien Japrisot
L’été meurtrier roman
Édition du Club France Loisirs, Paris avec l’autorisation des Éditions Denoël.
ISBN : 2-7242-0307-0
© by Éditions Denoël, Paris 1977
Je serai le juge et je serai le jury, dit Fury, le rusé compère.
J’instruirai seul toute l’affaire et je vous condamnerai à mort.
LEWIS CARROLL
Alice au Pays des Merveilles.
Le bourreau
J’ai dit d’accord.
Je suis facilement d’accord sur les choses. Enfin, je l’étais avec Elle. Une fois, je lui ai donné une gifle et, une fois, je l’ai battue. Et puis, je disais d’accord. Je ne comprends même plus ce que je raconte. Il n’y a qu’à mes frères que je sais parler, surtout le cadet, Michel. On l’appelle
Mickey. Il charrie du bois sur un vieux Renault. Il va trop vite, il est con comme un verre à dents.
Une fois, je l’ai regardé descendre dans la vallée, sur notre route le long de la rivière. C’est à pic comme l’enfer et plein de virages, et la route est à peine assez large pour une seule voiture. Je le regardais d’en haut, dans les sapins, d’où je pouvais le suivre pendant des kilomètres, tout petit, tout jaune, disparaissant et ressuscitant à chaque virage, et j’entendais même son moteur et le bruit de son chargement dans les cahots. Il m’a fait peindre son camion en jaune quand Eddy Merckx a gagné le Tour pour la quatrième fois. C’était un pari. Il ne peut pas dire bonjour, comment ça va, sans parler d’Eddy Merckx. Je ne sais pas de qui il tient sa connerie.
Pour notre père, le plus grand c’était Fausto Coppi.
Quand Coppi est mort, il s’est laissé pousser les moustaches en signe de deuil. Il est resté toute une journée sans parler, assis sur un vieux tronc d’acacia, dans la cour enneigée, à fumer son tabac made in U.S. roulé dans du papier Job. Il ramassait les mégots, rien que les américains, et il se faisait des cigarettes comme on n’en a jamais vu. C’était quelqu’un, notre père. On dit qu’il est venu d’Italie du Sud à pied, en tirant son piano
mécanique au bout d’une corde. Il