On s’est en ces dernières années beaucoup occupé de Benjamin Constant, non pas du tribun, ni de l’orateur, ni du théoricien politique, ni de l’historien des religions, mais de l’homme. Diverses publications ont remis sa figure dans une vive lumière, et particulièrement celle du Journal intime où il notait avec autant de sincérité que de clairvoyance les multiples incidens de sa vie intérieure et les états successifs de son âme changeante. Il se trouva que vers la même époque on se reprenait de goût pour les études morales. Le roman d’analyse recommençait d’être à la mode. L’auteur d’Adolphe bénéficia de cette coïncidence. Les psychologues à la manière de M. Bourget lui surent gré de la complexité de sa nature. Les sceptiques à la manière de M. Anatole France goûtèrent l’ironie de sa destinée. M. Maurice Barrés le célébra pour s’être déconsidéré. Tous ils furent attirés par ce qu’il y a de déconcertant dans sa physionomie, séduits par ce qu’elle a d’irritant, conquis par ce qu’elle a de suspect. Ils trouvèrent ses erreurs distinguées. Ils lui rendirent hommage parce qu’il avait scandalisé les simples. En ce temps-là le dilettantisme passait pour une élégance. — Ce Journal intime [1], enfoui jusqu’à présent dans les collections d’une revue étrangère et disparue, vient d’être publié en volume. Mlle Melegari, qui s’est chargée de cette tâche, s’en est acquittée avec intelligence et avec soin. C’est pour nous une occasion d’étudier le « cas » de Benjamin Constant. Il est curieux et il est instructif. C’est l’un des exemples les plus frappans qu’il y ait d’une vie manquée. On y saisit dans le jour le plus révélateur comment et jusqu’à quel point une belle intelligence peut être desservie par un caractère.
Benjamin Constant du côté de l’esprit est doué admirablement. Sa précocité éclate dans ses lettres d’enfant, si peu enfantines qu’on a attendu d’en retrouver les originaux pour en admettre l’authenticité. Il a le brillant et le solide, un jugement pénétrant et sûr,