Littérature
XV Skandinaviske romanistkongress Oslo 12.-17. august 2002
Vie de Julien Sorel
Pendant l’hiver de l’année 1830, Stendhal travaillait à un roman qu’il a provisoirement appelé Julien, titre changé ensuite en l’énigmatique Le Rouge et le Noir, qu’on ne finit toujours pas de déchiffrer. Cinq ans plus tard, en novembre 1835, il commence à écrire son autobiographie, dont le titre bien connu, mais souvent mal écrit et mal prononcé, sera Vie de Henry Brulard (Henry avec y grec, à l’anglaise). Moins bizarre que Le Rouge et le Noir, cette Vie de Henry … défie quand même la curiosité de l’exégète. Stendhal aurait-il voulu laisser transparaître le modèle de la vita sanctorum, c’est-à-dire vie des saints (légende dorée, hagiographie) dans cette rédaction d’une vie qui n’est justement pas «l’histoire de ma vie», c’est-à-dire d’Henri Beyle (même si c’est vrai aussi) mais la vie d’un autre, d’un certain Henry? Henry Brulard, une espèce de bâtard franco-anglais? Henry, roi d’Angleterre, et en plus, une pièce de Shakespeare : King Henry V, celle d’ou Stendhal a tiré la fameuse formule des happy few? («We few, we happy few, we band of brothers» : IV, 3) Mais je divague. Peut-être n’y-a-t-il aucune raison de voir autre chose que le synonyme «biographie» dans «vie». C’est plus prudent, mais avouez que c’est moins drôle. En ce qui concerne le titre provisoire du roman qui deviendra Le Rouge et le Noir, à savoir Julien, un pédant dirait que dans la tradition romanesque jusqu’à Stendhal, le nom du héros était couramment employé comme titre. Pourtant, par métonymie à la fois affective, temporale et génétique, je préfère voir s’insinuer le titre de l’autobiographie : Vie de Henry Brulard, dans le titre primitif du premier chef-d’œuvre de Stendhal, Julien, pour faire transparaître ce titre spectral à résonance hagiographique: Vie de Julien Sorel. Avant de passer à l’argument proprement dit, voici l’histoire racontée