Michel Butor, La Modification, 1957

Introduction

Troisième roman de Michel Butor, La Modification rencontra un grand succès. Il introduit un système original de narration, qui modifie la représentation du personnage romanesque, en étroite adéquation avec le contenu même du roman. Le voyage qui mène Léon Delmont de Paris à Rome renouvelle entièrement la formule du parcours initiatique en l’intériorisant ; au terme d’un voyage qui devait être une rupture, c’est sa propre vérité qui s’impose au personnage :son incapacité fondamentale à aimer et à vivre. C’est cette vérité qui émerge en filigrane dans le passage proposé.

I - La singularité de l’énonciation : l’emploi du « vous »

Cette page de roman propose, comme pour l’ensemble de l’œuvre, une énonciation singulière par l’emploi unique du pronom personnel « vous ». Le personnage est donc représenté de manière particulièrement originale dans ce récit qui prend l’allure d’un discours incertain. En effet, alors que ce « vous » renvoie de toute évidence au personnage romanesque, le lecteur semble, comme le dira Michel Leiris « poliment(mis) en cause », comme convoqué dans le texte lui-même, comme si on l’avait projeté dans cet espace fictif pour le faire devenir, le temps de la lecture, ce personnage. Toutefois, loin de lui permettre une identification facile, ce système le plonge dans un monde intérieur flottant : le passage accumule les questions :

l. 2 – 8 : « …ne devriez-vous pas en ressentir déjà les bienfaits et l’exaltation ? Quelle est cette lassitude……que jusqu’alors ce rempart avait protégées. » (interrogation, malgré l’absence du point d’interrogation)
l. 9 – 17 : Mais n’est-ce pas justement….. si routinier, si esclave ?

Le passage est ainsi presque entièrement constitué d’interrogations, manière indirecte de rappeler la difficulté à cerner la conscience d’un personnage.
Ce sont ces « flottements » du « vous » qui éloignent le lecteur d’une identification rassurante et le conduisent vers