Madame bovary
La mort d’Emma
I La mort de l’héroïne: réalisme et pathétique
1) Une mort ritualisée
La mort d’Emma s’inscrit dans une forme parfaitement ritualisée: il s’agit d’une mort publique, aboutissement d’une agonie qui a duré toute la nuit et une partie de la journée suivante. Sont présents Félicité, la domestique, le docteur Canivet, Homais le pharmacien, et Charles.
Dans les lignes qui précèdent, Flaubert a longuement décrit l’administration de l’extrême onction, ce qui ajoute à la solennité du moment. Le pathétique est d’emblée représenté par le personnage de Charles: fidèle à lui-même, toujours prompt à s’illusionner, il espère une rémission. En présentant au style direct sa pensée même “Il ne fallait peut-être pas se désespérer“, alors que la mort d’Emma est imminente, Flaubert en fait un personnage pitoyable, dont il détaille ensuite les “sanglots étouffés“.
2) La composition d’un tableau
De fait, dans l’ordre du pathétique, Flaubert compose un véritable tableau: tous les participants sont saisis dans une attitude précise, et les circonstances imposent à la scène une religiosité que seuls les deux hommes dits de science peinent à admettre. Ainsi “Félicité s’agenouilla devant le crucifix” (la piété commune, si l’on peut dire). Homais, quant à lui, “fléchit un peu les jarrets“. L’ironie de Flaubert se manifeste avec l’emploi du terme “jarret” (sens technique: zone de la jambe située derrière le genou). Le pharmacien, malgré son anticléricalisme se laisse contaminé par l’atmosphère, même s’il ne le reconnaitra jamais. Même malaise chez Canivet qui “regardait vaguement sur la place “. L’adverbe “vaguement ” souligne bien qu’il s’agit là d’une posture, destinée à dissimuler un mal-être diffus. Le prêtre est ensuite évoqué dans une attitude conforme à sa fonction: “Bournisien s’était remis en prière“, la place qu’il occupe, près du lit, et la mention de “sa longue soutane noire qui traînait derrière lui dans l’appartement”