Madame bovary
Le lendemain fut, pour Emma, une journée funèbre. Tout lui parut enveloppé par une atmosphère noire qui flottait confusément sur l’extérieur des choses, et le chagrin s’engouffrait dans son âme avec des hurlements doux, comme fait le vent d’hiver dans les châteaux abandonnés. C’était cette rêverie que l’on a sur ce qui ne reviendra plus, la lassitude qui vous prend après chaque fait accompli, cette douleur enfin que vous apportent l’interruption de tout mouvement accoutumé, la cessation brusque d’une vibration prolongée.
Comme au retour de la Vaubyessard1, quand les quadrilles tourbillonnaient dans sa tête, elle avait une mélancolie morne, un désespoir engourdi. Léon réapparaissait plus grand, plus beau, plus suave, plus vague ; quoiqu’il fût séparé d’elle, il ne l’avait pas quittée, il était là, et les murailles de la maison semblaient garder son ombre. Elle ne pouvait détacher sa vue de ce tapis où il avait marché, de ces meubles vides où il s’était assis. La rivière coulait toujours, et poussait lentement ses petits flots le long de la berge glissante. Ils s’y étaient promenés bien des fois, à ce même murmure des ondes, sur les cailloux couverts de mousse. Quels bons soleils ils avaient eus ! quelles bonnes après-midi, seuls, à l’ombre, dans le fond du jardin ! Il lisait tout haut, tête nue, posé sur un tabouret de bâtons secs ; le vent frais de la prairie faisait trembler les pages du livre et les capucines de la tonnelle… Ah ! il était parti, le seul charme de sa vie, le seul espoir possible d’une félicité ! Comment n’avait-elle pas saisi ce bonheur-là, quand il se