Marivaux la dispute
LE PRINCE, HERMIANE, CARISE, MESROU
Hermiane
Où allons-nous, seigneur ? Voici le lieu du monde le plus sauvage et le plus solitaire, et rien n’y annonce la fête que vous m’avez promise.
Le Prince, riant
Tout y est prêt.
Hermiane
Je n’y comprends rien ; qu’est-ce que c’est que cette maison où vous me faites entrer et qui forme un édifice si singulier ? Que signifie la hauteur prodigieuse des différens murs qui l’environnent ? Où me menez-vous ?
Le Prince
À un spectacle très-curieux. Vous savez la question que nous agitâmes hier au soir. Vous souteniez contre toute ma cour que ce n’était pas votre sexe, mais le nôtre, qui avait le premier donné l’exemple de l’inconstance et de l’infidélité en amour.
Hermiane
Oui, seigneur, je le soutiens encore. La première inconstance ou la première infidélité n’a pu commencer que par quelqu’un d’assez hardi pour ne rougir de rien. Oh ! comment veut-on que les femmes, avec la pudeur et la timidité naturelle qu’elles avaient, et qu’elles ont encore depuis que le monde et sa corruption durent, comment veut-on qu’elles soient tombées les premières dans des vices de cœur qui demandent autant d’audace, autant de libertinage de sentiment, autant d’effronterie que ceux dont nous parlons ? Cela n’est pas croyable.
Le Prince
Eh, sans doute, Hermiane, je n’y trouve pas plus d’apparence que vous ; ce n’est pas moi qu’il faut combattre là-dessus ; je suis de votre sentiment contre tout le monde, vous le savez.
Hermiane
Oui, vous en êtes par pure galanterie, je l’ai bien remarqué.
Le Prince
Si c’est par galanterie, je ne m’en doute pas. Il est vrai que je vous aime, et que mon extrême envie de vous plaire peut fort bien me persuader que vous avez raison ; mais ce qui est de certain, c’est qu’elle me le persuade si finement que je ne m’en aperçois pas. Je n’estime point le cœur des hommes, et je vous l’abandonne ; je le crois sans comparaison plus sujet à l’inconstance et à l’infidélité que celui des femmes ; je n’en