Marx et la spécificité humaine du travail
Il m'a longtemps paru évident que le travail était une activité spécifiquement humaine. L'idée m'en avait été inculquée durant ma formation, et j'ai vécu avec elle jusqu'au jour où, prévoyant d'examiner la question en cours, je me suis reporté au célèbre chapitre du Capital dans lequel Marx développe des considérations sur les abeilles et les architectes. Je vais d'abord à la fameuse citation, et je lis donc : « Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l'abeille confond par la structure de ses cellules de cire l'habileté de plus d'un architecte. Mais ce qui distingue dès l'abord le plus mauvais architecte de l'abeille la plus experte, c'est qu'il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l'imagination du travailleur1. » La première réflexion qui me traverse l'esprit à la relecture de ces lignes est la suivante : on voit rarement un architecte construire une cellule de ruche, et même si la chose arrivait, l'étape préalable à la construction ne serait pas aussi mentale que le suggèrent les expressions du texte : l'architecte, même mauvais, tracerait un plan sur une feuille. Cette réserve (de portée limitée) mise à part, je me sens néanmoins conforté dans ma croyance. En soulignant le fait que, dans son travail, l'homme réalise un projet conscient, Marx indique une caractéristique spécifique qui paraît suffire à légitimer l'idée que le travail serait l'apanage de