Michel vinaver
Racontant sa rencontre inopinée, à Paris, en 1986, avec Les
Coréens, An Chi-Un, futur traducteur de la pièce de Michel Vinaver, souligne cette évidence : son antériorité. C’est, écrit-il, « la première
œuvre écrite par un écrivain étranger sur la guerre de Corée ». Or l’on pourrait dire pareillement de tout le théâtre de Vinaver. Il est premier, sans lignée ni héritage. 11 septembre 2001, sa toute dernière pièce, est aussi la première œuvre écrite, dans quelque langue que ce soit, sur l’événement dont l’ombre portée s’étend encore sur le présent du monde. C’est cette piste que l’on voudrait suivre ici, l’Histoire, la grande, qui traverse souterrainement la petite histoire, à hauteur de banale humanité, qu’apparemment, nous raconte Vinaver. Après tout, les huit tomes de son Théâtre complet (Actes Sud et L’Arche, 20022005) s’ouvrent par la guerre froide qui menaçait de dégénérer en Troisième guerre mondiale – Les Coréens justement – et se terminent par l’actuelle « guerre contre le terrorisme » qui est venue la remplacer dans l’imaginaire impérial depuis 2001. Vinaver, ce serait donc notre histoire, notre présent : le récitant inlassable, depuis un demi-siècle, des fracas de notre temps. Cet énoncé est à rebours de l’image convenue sur ce théâtre, le plus souvent réduit à l’ordinaire ou au quotidien. Mais c’est un piège que nous tend l’auteur, une ruse où se cache la puissance et l’éternité de son œuvre. Antoine Vitez avait su la débusquer, dès 1989, en présentant L’émission de télévision, autre pièce de Vinaver, au Théâtre de l’Odéon, à Paris. « Vinaver, écrivait-il, nous embrouille avec
la vie quotidienne. On a dit, pour qualifier son œuvre, cette expression vulgaire : le théâtre du quotidien, un théâtre du quotidien. Mais non : il
Edwy Plenel, mars 2008
nous trompe ; ce n’est pas du quotidien qu’il s’agit, c’est la grande Histoire ; seulement, il sait en extraire l’essence en regardant les gens