Molloy - commentaire linéaire
Ma mère me voyait volontiers, c’est-à-dire qu’elle me recevait volontiers, car il y avait belle lurette qu’elle ne voyait plus rien. Je m’efforcerai d’en parler avec calme. Nous étions si vieux, elle et moi, elle m’avait eu si jeune, que cela faisait comme un couple de vieux compères, sans sexe, sans parenté, avec les mêmes souvenirs, les mêmes rancunes, la même expectative. Elle ne m’appelait jamais fils, d’ailleurs je ne l’aurais pas supporté, mais Dan, je ne sais pourquoi, je ne m’appelle pas Dan. Dan était peut-être le nom de mon père, oui, elle me prenait peut-être pour mon père. Moi je la prenais pour ma mère et elle me prenait pour mon père. Dan, tu te rappelles le jour ou j’ai sauvé l’hirondelle. Dan, tu te rappelles le jour ou tu as enterré la bague. Voila de quelle façon elle me parlait. Je me rappelais, je me rappelais, je veux dire que je savais à peu près de quoi elle parlait, et si je n’avais pas toujours participé personnellement aux incidents qu’elle évoquait, c’était tout comme. Moi je l’appelais Mag, quand je devais lui donner un nom. Et si je l’appelais Mag c’était qu’à mon idée, sans que j’eusse su dire pourquoi, la lettre g abolissait la syllabe ma, et pour ainsi dire crachait dessus, mieux que toute autre lettre ne l’aurait fait. Et en même temps je satisfaisais un besoin profond et sans doute inavoué, celui d’avoir une ma, c’est-à-dire une maman, et de l’annoncer, à haute voix. Car avant de dire mag on dit ma, c’est forcé. Et da, dans ma région, veut dire papa. D’ailleurs pour moi la question ne se posait pas, à l’époque où je suis en train de me faufiler, je veux dire la question de l’appeler ma, Mag ou la comtesse Caca, car il y avait une éternité qu’elle était sourde comme un pot.
Notre texte, encore situé au début de Molloy, constitue 1ère évocation des relations entre pers éponyme également narrateur et sa mère. Dans le déroulement du récit entamé par celui-ci, notre extrait vient à la suite d’une sorte