Montaigne "de l'institution des enfants"
A un enfant de maison qui recherche les lettres non pour le gain (car une fin si abjecte est indigne de la grâce et la faveur des Muses, et regarde et dépend d’autrui), ni tant pour les commodités externes que pour les siennes propres, et pour s’en enrichir et parer au-dedans, ayant plutôt envie d’en tirer un habile homme qu’un homme savant, je voudrais aussi qu’on fût soigneux de lui choisir un conducteur qui eût plutôt la tête bien faite que bien pleine ; qui eût les deux, mais plus la morale et l’intelligence que la science ; et qui se conduisît dans da charge d’une manière nouvelle. On ne cesse de criailler à nos oreilles comme on verserait par un entonnoir, et notre travail n’est que de redire ce qu’on nous a dit. Je voudrais qu’il corrigeât cela, et que, selon la portée de l’âme qu’il a en main, il commençât à la mettre sur la montre , lui faisant goûter les choses, les choisir et discerner par lui-même ; quelquefois lui ouvrant le chemin, quelquefois le lui laissant ouvrir. Je ne veux pas qu’il invente et parle seul, je veux qu’il écoute son disciple parler à son tour. Socrate et, depuis, Arcésilas faisaient premièrement parleur leurs disciples, puis leur parlaient. Obest plerumque iis, qui discere volunt, auctoritas eorum qui docent . Il est bon qu’il le fasse trotter devant lui pour juger de son train, et juger jusqu’à quel point il doit se rabaisser pour s’accommoder à sa force. Faute de cette adaptation, nous gâtons tout ; et de savoir la choisir et la mettre en pratique avec mesure est l’une des besognes les plus ardues que je connaisse ; et c’est l’effet d’une haute et forte âme que de savoir condescendre à ses allures puériles et les guider. Je marche plus sûr et plus ferme à mont qu’à val. (…) Qu’il ne lui demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance ; et qu’il juge du profit qu’il aura fait, non par le témoignage de