Le commerce guérit des préjugés destructeurs : et c'est presque une règle générale que, partout où il y a des mœurs douces, il y a du commerce; et que, partout où il y a du commerce, il y a des mœurs douces. Qu'on ne s'étonne donc point si nos mœurs sont moins féroces qu'elles ne l'étaient autrefois. Le commerce a fait que la connaissance des mœurs de toutes les nations a pénétré partout : on les a comparées entre elles, et il en a résulté de grands biens. On peut dire que les lois du commerce perfectionnent les mœurs ; par la même raison que ces mêmes lois perdent les mœurs. Le commerce corrompt les mœurs pures ; il polit et adoucit les mœurs barbares, comme nous le voyons tous les jours. L'effet naturel du commerce est de porter à la paix. Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l'une a intérêt d'acheter, l'autre a intérêt de vendre ; et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels. Mais si l'esprit de commerce unit les nations, il n'unit pas de même les particuliers. Nous voyons que, dans les pays où l'on n'est affecté que de l'esprit de commerce, on trafique* de toutes les actions humaines, et de toutes les vertus morales ; les plus petites choses, celles que l'humanité demande, s'y font, ou s'y donnent pour de l'argent. La privation totale du commerce produit, au contraire, le brigandage. L'esprit n'en est point opposé à de certaines vertus morales : par exemple, l'hospitalité, très rare dans les pays de commerce, se trouve admirablement parmi les peuples brigands. "
MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, XX
* trafic a ici le sens non péjoratif de négociation et de circulation des marchandises.
Questions : 1. Dégagez l'idée principale du texte et les étapes de son argumentation. 2.a. Pourquoi, selon l'auteur, "il résulte (du commerce) de grands biens" ? 2.b Expliquez : "les plus petites choses… s'y font pour de l'argent" 3. Faut-il moraliser les échanges commerciaux