médée
MÉDÉE
Elle s'arrête.
Écoute.
LA NOURRICE
C'est le vent. C'est la fête. Il ne rentrera pas, ce soir non plus.
MÉDÉE
Mais quelle fête? Quel bonheur qui pue jusqu'ici leur sueur, leur gros vin, leur friture? Gens de Corinthe, qu'avez-vous à crier et à danser? Qu'est-ce qui se passe de si gai ce soir qui m'étreint, moi, qui m'étouffe?... Nourrice, nourrice, je suis grosse ce soir. J'ai mal et j'ai peur comme lorsque tu m'aidais à me tirer un petit de mon ventre... Aide-moi, nourrice! Quelque chose bouge dans moi comme autrefois et c'est quelque chose qui dit non à leur joie à eux là-bas, c'est quelque chose qui dit non au bonheur.
Elle se serre contre la vieille, tremblante.
Nourrice, si je crie tu mettras ton poing sur ma bouche, si je me débats tu me tiendras, n'est-ce pas? Tu ne me laisseras pas souffrir seule... Ah ! tiens-moi, nourrice, tiens-moi de toutes tes forces. Tiens-moi comme lorsque j'étais petite, comme le soir où j'ai failli mourir en enfantant. J'ai quelque chose à mettre au monde encore cette nuit, quelque chose de plus gros, de plus vivant que moi et je ne sais pas si je vais être assez forte...
UN GARÇON, entre soudain et s'arrête.
C'est vous, Médée?
MÉDÉE, lui crie.
Oui ! Dis vite! Je sais!
LE GARÇON
C'est Jason qui m'envoie.
MÉDÉE
Il ne rentrera pas? Il est blessé, mort?
LE GARÇON
Il vous fait dire que vous êtes sauvée.
MÉDÉE
Il ne rentrera pas ?
LE GARÇON
Il vous fait dire qu'il viendra, qu'il faut l'attendre.
MÉDÉE
Il ne rentrera pas? Où est-il?
LE GARÇON
Chez le roi. Chez Créon.
MÉDÉE
Emprisonné ?
LE GARÇON
Non.
MÉDÉE, crie encore.
Si ! C'est pour lui cette fête ? Parle ! Tu vois bien que je sais. C'est pour lui ?
LE GARÇON
Oui. C'est pour lui.
MÉDÉE
Qu'a-t-il donc fait ? Allons, dis vite. Tu as couru, tu es tout rouge, il te tarde d'y retourner. On danse, n'est-ce pas ?
LE GARÇON
Oui.
MÉDÉE
Et on boit?
LE GARÇON
Six barriques ouvertes devant le palais!
MÉDÉE