Notion d'allié
Bertrand Badie : Vous avez raison de noter que l'idée d'alliance renvoie en même temps à celle d'ennemi et à celle de durée. L'alliance était conçue dans une perspective d'équilibre de puissance en même temps pour protéger et dissuader celui qui faisait planer une menace de quelque nature qu'elle fût.
Dans un premier temps, dans les deux siècles qui ont suivi la paix de Westphalie, l'alliance était précaire, sujette à des coalitions variables qui pouvaient très vite changer d'orientation et de configuration. Dès la seconde moitié du XIXe siècle, ces coalitions purent s'inscrire dans la durée et l'alliance se construisait au-delà des conjonctures, comme l'expression d'une association durable entre Etats qui partageaient les mêmes objectifs et percevaient à leur encontre les mêmes menaces. Cet accomplissement de l'alliance dans le temps a connu une traduction institutionnelle sous forme de pactes qui, à l'instar du Pacte atlantique ou du Pacte de Varsovie, venaient structurer en profondeur les relations internationales. Aujourd'hui, comme vous l'indiquez, ces idées fondatrices sont remises en question. D'une part, la notion d'ennemi tend à se distendre, voire se dissoudre, par le jeu des interdépendances et aussi du fait des transformations qui affectent la menace, laquelle devient beaucoup plus diffuse et beaucoup plus mobile.
D'autre part, et en partie pour cette dernière raison, la durée n'a pas la même pertinence : le choc entre Etats peut relever de conjonctures instables, rendant souvent inadapté le modèle de l'alliance institutionnalisée. C'est la raison pour laquelle la mondialisation telle que nous la connaissons aujourd'hui promeut davantage l'autonomie que l'alliance, et vient quelque peu affadir l'idée d'un engagement structurel liant durablement les Etats