Oregon
C'est au Star Circus que nous nous sommes connus, Oregon et moi. Il passait juste avant mon numéro. Blotti derrière le rideau, je perdais mon trac et retrouvais l'enfance. Mes pitreries terminées, je le raccompagnais jusqu'à sa cage.
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Un soir, Oregon m'a parlé. Comme dans les livres pour enfants... "Conduis-moi jusqu'à la grande forêt, Duke." Sur le coup, je n'ai rien pu répondre. Mais, seul au fond de ma roulotte, j'ai su que sa place était parmi les siens, au fond d'une belle forêt d'épicéas. Qui sait? j'y rencontrerais peut-être Blanche Neige... Un dernier tour de piste et nous sommes partis dans la nuit noire. Sans bagages inutiles et sans clés qui déforment les poches. Je n'avais jamais été très fort en géographie, mais je me doutais que les grandes forêts, celles aux arbres gorgés de miel et aux rivières comme des viviers, ne se trouvaient pas à côté de la porte. Bien des kilomètres plus tard, Pittsburgh et son ciel de suie était oubliés. Une nuit au Sioux Motel, deux allers simples pour Chicago et trois cents hamburgers avaient eu raison de mes économies. Mais peu m'importait. J'étais heureux de faire ce voyage avec Oregon. Moi qui,
enfant, n'avait pas eu d'ours en peluche... Dès l'aube, on s'est fait prendre en stop par Spike. Il descendait jusqu'en Iowa, le garde-manger de l'Amérique. Cela tombait bien, Oregon était insatiable ! "Pourquoi gardes-tu ce nez rouge et ce masque blanc ? " m'a demandé Spike. "Tu n'es plus sur la piste du cirque." "Ils me collent à la peau. Ce n'est pas facile d'être nain..." "Et d'être noir dans le plus grand pays du monde ?" Nous étions de la même famille... Je n'avais rien à ajouter. Nous nous sommes quittés au petit matin. J'avais une promesse à tenir et il me restait bien des chemins à parcourir. Les cheveux rouges au vent, j'ai traversé des tableaux de Van Gogh... En plus beau. On cheminait sous la grêle. On festoyait dans les maïs. On somnolait dans l'herbe tiède. On rêvait