Oswald baudot
En entrant dans la magistrature, vous êtes devenus des fonctionnaires d'un rang modeste. Gardez-vous de vous griser de l'honneur, feint ou réel, qu'on vous témoigne. Ne vous haussez pas du col. Ne vous gargarisez pas des mots de «troisième pouvoir «de «peuple français «, de «gardien des libertés publiques «, etc. On vous a dotés d'un pouvoir médiocre: celui de mettre en prison. On ne vous le donne que parce qu'il est généralement inoffensif. Quand vous infligerez cinq ans de prison au voleur de bicyclette, vous ne dérangerez personne. Evitez d'abuser de ce pouvoir.
Ne croyez pas que vous serez d'autant plus considérables que vous serez plus terribles. Ne croyez pas que vous allez, nouveaux saints Georges, vaincre l'hydre de la délinquance par une répression impitoyable. Si la répression était efficace, il y a longtemps qu'elle aurait réussi. Si elle est inutile, comme je crois, n'entreprenez pas de faire carrière en vous payant la tête des autres. Ne comptez pas la prison par années ni par mois, mais par minutes et par secondes, tout comme si vous deviez la subir vous-mêmes.
Il est vrai que vous entrez dans une profession où l'on vous demandera souvent d'avoir du caractère mais où l'on entend seulement par là que vous soyez impitoyables aux misérables. Lâches envers leurs supérieurs , intransigeants envers leurs inférieurs, telle est l'ordinaire conduite des hommes. Tâchez d'éviter cet écueil. On rend la justice impunément: n'en abusez pas.
Dans vos fonctions, ne faites pas un cas exagéré de la loi et méprisez généralement les coutumes, les circulaires, les décrets et la jurisprudence. Il vous appartient d'être plus sages que la Cour de cassation, si l'occasion s'en présente. La justice n'est pas une vérité