partir
Bovary, m'a promis de lire tout le roman le jour des grandes vacances, quand il arrivera.
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Toutia
À Tanger, l'hiver, le café Hafa se transforme en un observatoire des rêves et de leurs conséquences. Les chats des terrasses, du cimetière et du principal four à pain du Marshan se réunissent là comme pour assister au spectacle qui se donne en silence et dont personne n'est dupe. Les longues pipes de kif circulent d'une table à l'autre, les verres de thé à la menthe refroidissent, cernés par des abeilles qui finissent par y tomber dans l'indifférence des consommateurs perdus depuis longtemps dans les limbes du haschisch et d'une rêverie de pacotille. Au fond d'une des salles, deux hommes préparent minutieusement la potion qui ouvre les portes du voyage. L'un sélectionne les feuilles et les hache selon une technique rapide et efficace. Ni l'un ni l'autre ne relève la tête. D'autres, assis sur des nattes, le dos au mur, fixent l'horizon comme s'ils l'interrogeaient sur leur destin. Ils regardent la mer, les nuages qui se confondent avec les montagnes, ils attendent l'apparition des premières lumières de l'Espagne. Ils les suivent sans les voir et parfois les voient alors qu'elles sont voilées par la brume et le mauvais temps. Tout le monde se tait. Tout le monde tend l'oreille. Peut
-être fera-t-elle une apparition ce soir, leur parlera, leur chan tera la chanson du noyé devenu une étoile de mer suspendue audessus du détroit. Il a été convenu de ne jamais la nommer. La nommer, c'est la détruire et en outre provo quer une succession de malédictions. Alors ils s'observent et ne disent rien.
Chacun entre dans son rêve et serre les