Pensez vous comme du bellay que le poète qui chante son mal l'enchante?
Texte A – Joachim Du Bellay (1522-1560) – Les Regrets (1558) – Sonnet XII,
[En 1553, Joachim Du Bellay accompagne à Rome son cousin, le cardinal Jean Du Bellay, parti négocier avec le pape Jules III au nom du roi de France Henri II.]
Vu le soin ménager dont travaillé je suis,
Vu l'importun souci qui sans fin me tourmente,
Et vu tant de regrets desquels je me lamente,
Tu t'ébahis souvent comment chanter je puis.
Je ne chante, Magny(1), je pleure mes ennuis,
Ou, pour le dire mieux, en pleurant je les chante,
Si bien qu'en les chantant, souvent je les enchante :
Voilà pourquoi, Magny, je chante jours et nuits.
Ainsi chante l'ouvrier en faisant son ouvrage,
Ainsi le laboureur faisant son labourage,
Ainsi le pélerin regrettant sa maison,
Ainsi l'aventurier en songeant à sa dame,
Ainsi le marinier en tirant à la rame,
Ainsi le prisonnier maudissant sa prison.
(1) Magny est un de ses amis, poète comme lui.
Texte B – A. de Musset (1810-1857) Poésies nouvelles "Le mie prigioni" ("Mes prisons")
[En 1841, Musset s'étant dérobé au service de la Garde Nationale, passa plusieurs jours en prison. Cette mésaventure sera renouvelée en 1843, puis en 1849.]
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On dit : "Triste comme la porte
D'une prison."
Et je crois, le diable m'emporte !
Qu'on a raison.
D'abord, pour ce qui me regarde,
Mon sentiment
Est qu'il vaut mieux monter sa garde,
Décidément.
Je suis, depuis une semaine,
Dans un cachot,
Et je m'aperçois avec peine
Qu'il fait très chaud.
Je vais bouder à la fenêtre,
Tout en fumant ;
Le soleil commence à paraître
Tout doucement.
C'est une belle perspective,
De grand matin,
Que des gens qui font la lessive
Dans le lointain.
Pour se distraire, si l'on bâille,
On aperçoit
D'abord une longue muraille,
Puis un long toit.
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Ceux à qui ce séjour tranquille
Est inconnu
Ignorent l'effet d'une tuile
Sur un mur nu.
Je n'aurais jamais cru moi-même,
Sans l'avoir vu,
Ce que ce spectacle suprême
A d'imprévu.