Personnages de tragedie
Ce qui nous tient, dans la tragédie, c’est d’abord la consistance d’une forme textuelle.
Depuis quelques années, sous la bannière du «texte-matériau», le combat avec la consistance du texte n’a plus souvent lieu: on s’intéresse plus à une «matière tragique» malléable, recyclable à volonté (réduite à deux éléments: la grandeur et la violence, la «grande violence» qui ouvre en général la voie à un théâtre compassionnel, néo-romantique), qu’à la forme de la tragédie. Or, aucun sujet, aucun fait, aucune image, aucun accident, aucune atmosphère, aucun récit ne sont par eux-mêmes tragiques. La tragédie opère par sa forme, qui livre une situation à un affrontement de paroles contradictoires.
Elle recueille dans le dialogue l’impossibilité d’un consensus. La tragédie est discordante.
2. UNE TRAGEDIE TRAVAILLE AUX CHARNIERES DE L’HISTOIRE
La tragédie n’agite pas des éléments éternels (le destin, la mort, l’amour, la condition humaine, qu’il faudrait écrire avec les majuscules qui conviennent à l’absolu), mais articule éternellement le passé au présent. Elle a toujours procédé par un détour historique: les tragédies grecques mettaient en question les catégories de la démocratie naissante à partir des héros mythiques, les tragédies françaises celles de la monarchie à partir des héros antiques, etc. Ce détour est la condition nécessaire pour que l’Histoire soit posée comme un problème, comme une construction. Si ce détour nous semble essentiel aujourd’hui, c’est que nous sommes en train de sortir d’une longue période d’après-guerre, et que de nouvelles catégories se sont formées (terrorisme, liberté individuelle, droit de la personne…) sur lesquelles le présent médiatique se règle et cherche son confort de lecture, par-delà la complexité historique des situations.
Le temps de la tragédie n’est pas le passé simple, ni le présent simple, mais le présent compliqué par un passé. La tragédie est embarrassante.
3. UNE