Peut-on définir le bonheur?
Tour de France. J'ai regardé comme tout le monde la retransmission de la dernière étape du
Tour de France dans mon appartement de Berlin, tranquillement, l'étape des Champs-Elysées, qui s'est terminée par un sprint massif remporté par l'Ouzbek Abdoujaparov, puis je me suis levé et j'ai éteint le téléviseur. Je revois très bien le geste que j'ai accompli alors, un geste très simple, très souple, mille fois répété, mon bras qui s'allonge et qui appuie sur le bouton, l'image qui implose et disparaît de l'écran. C'était fini, je n'ai plus jamais regardé la télévision.
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Partout c'était les mêmes images indifférenciées, sans marges et sans en-têtes, sans explications, brutes, incompréhensibles, bruyantes et colorées, laides, tristes, agressives et joviales, syncopées, équivalentes, c'était des séries américaines stéréotypées, c'était des clips, c'était des chansons en anglais, c'était des jeux télévisés, c'était des documentaires, c'était des scènes de film sorties de leur contexte, des extraits, c'était des extraits, c'était de la chansonnette, c'était vivant, le public battait des mains en rythme, c'était des hommes politiques autour d'une table, c'était un débat, c'était du cirque, c'était des acrobaties, c'était un jeu télévisé, c'était le bonheur, des rires de stupéfaction incrédule, des embrassades et des larmes, c'était le gain d'une voiture en direct, des lèvres qui tremblaient d'émotion, c'était des documentaires, c'était la deuxième guerre mondiale, c'était une marche funèbre, c'était des colonnes de prisonniers allemands qui marchaient lentement sur le bord de la route, c'était la libération des camps de la mort, c'était des tas d'ossements sur la terre, c'était dans toutes les