Peut-on mentir ?
Le mensonge, c’est-à-dire la dissimulation intentionnelle de la vérité, occupe une place ambiguë dans les rapports moraux et politiques. Il semble en effet intolérable en droit car l’autoriser, ce serait permettre de traiter l’autre comme un moyen soustrait à l’exigence de sincérité requise par la moralité et la politique. En ce sens, un devoir de véracité doit être à la base des rapports humains. Pourtant, le mensonge paraît pouvoir se justifier pour des raisons elles-mêmes très morales ou très humaines, par exemple lorsqu’il s’agit de protéger celui à qui l’on ment. L’impératif de véracité passerait alors au second rang par rapport à l’estimation du coût de la vérité ou de la véracité et à l’impératif de responsabilité envers l’autre. Aussi faut-il se demander si l’on peut avoir le droit de mentir.
B) Première Partie :
S’autoriser le mensonge en se prévalant de justifications morales passe bien souvent pour de l’hypocrisie ou du cynisme. L’interdiction de mentir généralement admise n’est que l’autre versant d’un devoir de vérité. Mentir, en effet, c’est-à-dire travestir à dessein une vérité, c’est juger que l’autre ne doit pas la recevoir ou qu’il n’en est pas capable. Dans le premier cas, le mensonge sert l’intérêt du menteur, qui subordonne et instrumentalise sa victime à ses propres fins. Le second cas évoque l’exemple du patient atteint d’une grave maladie et auquel le médecin ment sur la gravité de son état. Ce mensonge n’est pas motivé par un cynisme quelconque, mais très souvent par la bienveillance : le médecin ne veut pas affoler ou blesser moralement le malade en lui révélant une vérité pénible ou insupportable. Mais, à son insu, cette bienveillance repose sur une distinction entre ceux qui sont capables de vérité et ceux qui ne le sont pas. Or cette différence est-elle légitime ? Qui peut en juger ? Mentir au patient, c’est lui refuser un savoir sur lui-même pour une raison finalement très immorale ou très inhumaine : c’est