Peut-on penser librement?
LIVRE PREMIER. DES LOIS EN GÉNÉRAL
CHAPITRE PREMIER.
DES LOIS DANS LE RAPPORT QU’ELLES ONT AVEC LES DIVERS ÊTRES.
Les lois, dans la signification la plus étendue, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses(2) et, dans ce sens, tous les êtres ont leurs lois ; la Divinité(3) a ses lois ; le monde matériel a ses lois ; les intelligences supérieures à l’homme ont leurs lois ; les bêtes ont leurs lois ; l’homme à ses lois.
Ceux qui ont dit qu’une fatalité aveugle a produit tous les effets que nous voyons dans le monde, ont dit une grande absurdité ; car quelle plus grande absurdité qu’une fatalité aveugle qui auroit produit des êtres intelligents ?
Il y a donc une raison primitive ; et les lois sont les rapports qui se trouvent entre elle et les différents êtres, et les rapports de ces divers êtres entre eux.(4)
Dieu a du rapport avec l’univers, comme créateur et comme conservateur : les lois selon lesquelles il a créé sont celles selon lesquelles il conserve. Il agit selon ces règles, parce qu’il les connoît ; il les connoît parce qu’il les a faites ; il les a faites, parce qu’elles ont du rapport avec sa sagesse et sa puissance.
Comme nous voyons que le monde, formé par le mouvement de la matière, et privé d’intelligence, subsiste toujours(5), il faut que ses mouvements aient des lois invariables(6) ; et, si l’on pouvait imaginer un autre monde que celui-ci, il auroit des règles constantes, ou il seroit détruit.
Ainsi la création, qui paroît être un acte arbitraire, suppose des règles aussi invariables que la fatalité des athées(7). Il seroit absurde de dire que le créateur, sans ces règles, pourroit gouverner le monde, puisque le monde ne subsisteroit pas sans elles.
Ces règles sont un rapport constamment établi. Entre un corps mû et un autre corps mû, c’est suivant les rapports de la masse et de la vitesse que tous les mouvements sont reçus, augmentés, diminués, perdus ; chaque diversité