L’art et la valeur
L’art s’adresse aux sens, même si le rapport à l’art n’est pas uniquement sensible. Quoi qu’on pense d’une œuvre, à quoi qu’elle nous fasse penser, nous y sommes ramenés comme à un objet offert à nos sens, et qui « fait sens » pour nous. On peut d’ailleurs remarquer que les arts « par excellence » ne s’adressent pas à n’importe quels sens. L’art privilégie la vue (peinture, sculpture, architecture, et tous les arts mixtes comme théâtre, danse, cinéma, etc.) et l’ouïe (musique, poésie, et aussi encore théâtre, opéra, etc.). Quand on considère les autres sens, on voit qu’on a affaire à des arts moins reconnus. La cuisine, qui s’adresse au goût, est-elle un art ? Et quand elle se prétend telle, ne s’efforce-t-elle pas par exemple de jouer sur le visuel au moins autant que sur le gustatif ? La parfumerie, art de l’odorat, peut prétendre, mais avec difficulté, au rang d’art. Quant à l’art du toucher… ce dernier sens est si près du corps et de ses fonctions vitales qu’il est difficile d’imaginer un art du toucher (sauf l’art du massage, voire l’érotisme dans certaines cultures). Ce qui semble clair, c’est que plus on s’éloigne du corps, plus l’art est noble. Ou pour mieux dire, plus on sépare la perception sensible des fonctions vitales, plus on ménage l’espace nécessaire à une expérience « esthétique ». Ainsi on invitera celui qui veut goûter le vin à ne pas boire, et à venir sans avoir soif. Le glouton ne peut goûter. Vue et ouïe sont des sens « à distance », alors que les autres sens s’exercent au contact de l’objet, ce qui en principe invite le corps à réagir avec plus d’urgence. On voit donc, pour le dire autrement, que c’est dans la mesure où les sens peuvent être stimulés de façon « désintéressée » que l’art commence à avoir une place. Moins l’objet incite le corps au mouvement, plus le sens se « spiritualise », plus on a tendance à parler d’art. Une musique qui semble ne viser qu’à mettre le corps en mouvement sera qualifiée de « musique de