Avant toute considération plus approfondie, il faut simplement rappeler que l’ignorance n’est rien de plus que l’absence de connaissance. Si on s’en tient là, on peut effectivement prétexter l’ignorance pour ne pas être jugé responsable des actes dont l’issue nous surprend, aussi dramatiques soient-ils. Par définition, on ne peut définir comme volontaires des conséquences dont on n’avait absolument aucune idée. Par exemple, en Mars 1977, sur l’aéroport de Ténérife, un Boeing 747 en plein décollage en percuta un autre qui se trouvait à ce moment là en travers de la piste d’envol, tuant ainsi 583 passagers. La raison pour laquelle le pilote lança son avion à 300km/h sur la piste est le fait qu’il ignorait totalement qu’un autre appareil était en train de manœuvrer sur sa trajectoire. En l’occurrence, on peut tout à fait affirmer que du point de vue du pilote, l’ignorance constitue effectivement une excuse, puisqu’il est évident que s’il avait connu la présence de cet obstacle, il n’aurait pas tenté son décollage. De manière générale, nous agissons tous sur le même principe : nous identifions l’objectif que poursuit notre acte, et nous considérons que si nous mettons tout en œuvre pour l’atteindre, nous maîtrisons suffisamment nos actes pour nous en reconnaître responsables. Mais si le processus nous échappe, qu’il n’a pas lieu comme il le devait, il semble alors se détacher de nous et nous semblons ne plus en être la cause. La notion même d’imprévu implique d’admettre que nous ne connaissons pas tout : si l’imprévu était connu, il serait par définition prévu. Dès lors, refuser que l’ignorance puisse constituer une excuse, ce serait instituer la maîtrise de l’homme sur le monde comme une nécessité incontournable. Or la nature même du rapport que l’homme entretient avec le monde implique au contraire que l’univers lui échappe en partie et qu’il ne parvient pas systématiquement à ses fins. Dès lors, la temporalité de l’homme implique qu’il ne connait que