Politique pouvoir
La politique a son propre domaine: le domaine du pouvoir. Donc elle n'est pas de la morale, elle n'est pas de l'esthétique, elle n'est pas de l'économie. La politique est une manière de penser, tout comme le sont ces dernières. Chacune de ces formes de pensée isole une partie de la totalité du monde et en revendique la possession. La morale fait la distinction entre le bien et le mal, l'esthétique entre le beau et le laid, l'économie entre l'utile et l'inutile (dans sa phase ultérieure purement commerciale, ceux-ci s'identifient au profitable et au non-profitable). La manière dont la politique divise le monde est entre l'ami et l'ennemi. Ceux-ci expriment pour elle le plus haut degré possible de proximité, et le plus haut degré possible de séparation.
La pensée politique est aussi séparée de ces autres formes de pensée qu'elles le sont entre elles. Elle peut exister sans elles, elles sans elle. L'ennemi peut être bon, il peut être beau, il peut être économiquement utile, commercer avec lui peut être profitable -- mais si son activité relative au pouvoir concurrence la mienne, il est mon ennemi. Il est celui avec qui des conflits existentiels sont possibles. Mais l'esthétique, l'économie, la morale ne se préoccupent pas de l'existence, mais seulement de normes d'activité et de pensée une fois que l'existence est assurée.
Alors qu'en matière de fait psychologique, l'ennemi est facilement représenté comme laid, nuisible et mauvais, cela est cependant subsidiaire en politique, et ne détruit pas l'indépendance de la pensée et de l'activité politiques. La distinction politique, du fait qu'elle se préoccupe de l'existence, est la plus profonde de toutes les distinctions et a donc une tendance à rechercher tous les types de persuasion, de contrainte et de justification pour pouvoir mener à bien son activité. L'intensité avec