Politiques des barrages
«Nous avons lancé un défi au temps et à nous-mêmes et avons décidé de réaliser le million d'hectares irrigués ». Cette déclaration du Roi Hassan II en forme de proclamation lors de l'inauguration en 1974 du dixième grand barrage du Maroc (1) n'est pas isolée. La grande hydraulique agricole est présentée par les responsables marocains, chaque année avec plus d'insistance, comme le pilier du développement agricole et comme la grande entreprise du règne. Pourtant, la politique dite des grands barrages ou du million d'hectares n'est pas une découverte puisque déjà les techniciens du protectorat avaient pu en esquisser les lignes générales. Mais ce n'est qu'à partir des années 1968-69, avec la préparation de la «charte agricole» qui deviendra le «Code des Investissements agricoles », que cet ambitieux projet devient l'objectif majeur de la politique agricole et un des grands thèmes de la politique nationale. Tout concourt en effet à constituer ce projet en mythe mobilisateur: l'énormité des ouvrages édifiés, des volumes retenus, des espaces concernés, des ressources mobilisées; la transformation profonde du paysage: géométrie rigoureuse de la trame hydraulique, des parcelles remembrées, des assolements imposés; le déferlement de techniques avancées: réseau bétonné, assolements intensifs, cultures industrielles, machinisme agricole, usine; la «magie ,> de quelques chiffres d'or qui reviennent sans cesse: quintuplement de la production, 10 milliards de m::, un million d'hectares à l'horizon 2 000. La presse, la radio, la télévision sont chargées de faire apparaître les barrages comme le symbole du progrès au Maroc. Le Souverain lui-même tient à marquer de sa présence lancements de travaux et inaugurations de grands ouvrages. N'a-t-il pas voulu d'ailleurs que le projet hydraulique soit associé, dans l'opinion publique, aux plus vastes entreprises nationales en baptisant le 26 octobre 1975 le dernier né des grands barrages Al Massira ?