Pourquoi travaille-t-on ?

Il faut d’abord noter le ton « provocateur » du sujet : le travail semble une évidence sociale, une obligation qui pèse sur chacun (il faut travailler est un commandement qui semble absolu, sans discussion possible, un impératif inconditionné). S’interroger sur les raisons du travail revient au contraire à en faire un devoir relatif, relatif à des exigences qui peuvent très bien apparaître comme illégitimes. Autrement dit, le seul fait de s’interroger sur les raisons du travail est déjà un refus de l’obéissance passive à une obligation sociale. Cela ne veut pas dire qu’il faudrait ne pas travailler, mais du moins, qu’il faut savoir pourquoi l’on travaille.

Or, le propre du travail est d’être aliénant précisément dans la mesure où l’on n’en perçoit pas les raisons. Le boulanger qui travaille dans une petite communauté humaine peut avoir en vue le système des échanges de cette communauté : il sait que son travail sera échangé contre le produit du travail des autres membres de cette communauté (voir cours sur les échanges pour les TES). Mais pour un travailleur dans l’économie moderne, quelle est la lisibilité de son propre travail ? Le système des échanges est d’une telle complexité, avec la mondialisation, que le processus de production global échappe au point de vue individuel. Pour Marx, le prolétaire est totalement aliéné dans son travail parce que la parcellisation des tâches fait qu’il ne voit qu’une infime partie du processus de production, sans saisir tous les enjeux en amont et en aval de ce qu’il fait. On peut penser bien sûr au travail à la chaîne, qui est un exemple parlant, mais il faut aussi penser à la nature du travail moderne en général : le boulanger, pour reprendre l’exemple, est tributaire non seulement de la production agro-industrielle de blé, qui se fait sur une immense échelle, mais d’une éventuelle spéculation boursière sur le cours du blé. Son travail est dépendant, dans sa rémunération même, de choses qui