Poésie et réalité jean cocteau
372 mots
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JEAN COCTEAU, LE SECRET PROFESSIONNEL, 1922.« On a coutume de représenter la poésie comme une dame voilée, langoureuse, étendue surun nuage. Cette dame a une voix musicale et ne dit que des mensonges.Maintenant, «connaissez-vous la surprise qui consiste à se trouver soudain en face de sonpropre nom comme s'il appartenait à un autre, à voir, pour ainsi dire, sa forme et à entendre le bruit de ses syllabes sans l'habitude aveugle et sourde que donne une longue intimité? Lesentiment qu'un fournisseur, par exemple, ne connaît pas un mot qui nous paraît si connu, nousouvre les yeux, nous débouche les oreilles. Un coup de baguette fait revivre le lieu commun.Il arrive que le même phénomène se produise pour un objet, un animal. L'espace d'unéclair, nous voyons un chien, un fiacre, une maison pour la première fois. Tout ce qu'ils présentent de spécial, de fou, de ridicule, de beau nous accable. Immédiatement après, l'habitudefrotte cette image puissante avec sa gomme. Nous caressons le chien, nous arrêtons le fiacre, noushabitons la maison. Nous ne les voyons plus.Voilà le rôle de la poésie. Elle dévoile, dans toute la force du terme. Elle montre nues, sousune lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement.Inutile de chercher au loin des objets et des sentiments bizarres pour surprendre le dormeuréveillé. C'est là le système du mauvais poète et ce qui nous vaut l'exotisme.Il s'agit de lui montrer ce sur quoi son coeur, son oeil glissent chaque jour sous un angle etavec une vitesse tels qu'il lui paraît le voir et s'en émouvoir pour la première fois. Voici bien la seule création permise à la créature.Car, s'il est vrai que la multitude des regards patine les statues, les lieux communs, chefsd'oeuvreétemels, sont recouverts d'une épaisse patine qui les rend invisibles et cache leur beauté.Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu'ilfrappe avec sa jeunesse et