Processus de patrimonialisation
Guy Di Méo
Professeur de Géographie à l’Université de Bordeaux 3 Directeur du Laboratoire ADES (UMR 5185 du CNRS)
Quand on porte sur le patrimoine un regard scientifique, on ne saurait échapper à l’exercice périlleux de sa définition. À ce titre, si l’on se penche sur l’étymologie du mot patrimoine, si l’on remonte jusqu’aux premières mentions écrites de son apparition dans notre langue, on le rencontre dans plusieurs textes du XIIe siècle. Il désigne alors des « biens de famille », l’ensemble des biens privés appartenant au pater familias. Ce sens premier est toujours d’actualité. Il imprègne toujours le mot et crée dans sa structure sémantique un double décalage, presque une double contradiction. En premier lieu, le même terme ne désigne-t-il pas à la fois des biens privés dont on hérite et des biens communs dont les membres d’une même entité (communauté, nation, etc.) seraient collectivement dépositaires ? En deuxième lieu, ne qualifie-t-on pas de la même façon et de manière abusive des biens concrets qui nous sont personnellement transmis et le grand patrimoine des œuvres, des monuments, des sites, etc. ; voire, de plus en plus, des valeurs et des coutumes, des savoirs : patrimoine étendu qui fonctionne à diverses échelles (locale, régionale, nationale…) comme un système symbolique générateur d’identité collective. Il n’empêche que la référence élémentaire aux biens et aux droits du père, dont on hérite un jour ou l’autre par effet de filiation, introduit d’emblée l’idée fondamentale d’une transmission intergénérationnelle, signification étymologiquement présente dans l’idée générique de patrimoine. On remarquera au passage que cette notion de transmission est, de nos jours, fondamentale pour les conceptions et les politiques du développement durable. On sait que celles-ci s’appuient justement sur la qualification patrimoniale de l’environnement, au sens d’une transmission garantie et