Puissance de la rhétorique
Selon un constat se retrouvant dans plusieurs textes d’anthropologie, les peuples primitifs auraient éprouvés une sorte de défiance envers le langage : les simples mots du quotidien auraient été utilisés avec une certaine précaution et une part de la parole aurait même été considérée comme sacrée, et réservée à une étroite catégorie des membres de ces sociétés holistes, (comme les officiants religieux, les oracles ou les poètes, lesquels étaient regardés comme dépositaires d’un message supérieur). On peut voir là un effet de superstition parmi d’autres, consécutif de « l’état d’ignorance » que l’on assigne à ses peuples. Mais ainsi que le fait remarquer Mircea Eliade, ce que l’on accuse un peu facilement d’irrationalisme archaïque peut en fait révéler d’importantes intuitions relevant seulement d’une intelligibilité à un stade primaire, (n’ayant pas encore découvert l’empire du logos, on se tient encore sous celui du muthos, pour ainsi dire). Aussi, par delà les diverses superstitions, quelle intuition plus fondamentale peut on retrouver derrière cette défiance envers l’usage de la parole ? Ne serait-ce pas une intuition quant à une certaine puissance à l’œuvre dans la langue, un pouvoir du langage qui fascinerait autant qu’il répugnerait ? Aujourd’hui, dans un monde qui se veut rationnel, les mots prolifèrent à l’infini à travers les différentes formes de médias qui les propagent, et cette profusion tapageuse se déploie sans inquiéter fondamentalement, comme si la parole avait été apprivoisée ou sécularisée. Pourtant, aussi conditionnés que nous puissions l’être par le bourdonnement des radios et des télévisions, il y a un moment où la situation nous dérange, où nous éprouvons comme le besoin de nous affranchir de cette abondance de discours. Le rapprochement entre la méfiance du peuple primitif envers les dires du druide et la défiance de l’individu actuel envers la communication est un rapprochement quelque peu grossier et