Qu'apporte l'acteru au texte
La doxa scolaire enseigne que le drame romantique hugolien a, par son mépris des unités classiques et par sa désarticulation de l’alexandrin, suscité l’incompréhension ou la répulsion du public contemporain. Chacune de ces provocations « rhétoriques » attribuées au dramaturge mérite pourtant d’être revue et nuancée : l’unité d’action (ou plutôt son unification) est scrupuleusement respectée, application du projet esthétique de la Préface de Cromwell[1] ; l’unité de lieu (étrangère du reste à la poétique aristotélicienne), n’est violemment faussée que le temps de l’acte d’Aix-la-Chapelle dans Hernani ; la continuité temporelle est assurée par le « trompe-l’œil » de la journée apparemment déroulée par Ruy Blas[2]. Du reste, le triomphe de Trente ans ou La vie d’un joueur de Victor Ducange, certes à la Porte Saint-Martin et non au Théâtre-Français, démontre en 1827 que les unités ne constituent plus un point de crispation pour une bonne partie du public. Ce système des unités a depuis longtemps été mis à mal, dans les tragédies de Népomucène Lemercier, Pinto (1800) et Christophe Colomb (1809), par exemple. Quant aux alexandrins de Hugo, souples comme la prose, hardis dans leurs enjambements et sonores dans leurs rimes, ils n’ont pas été toujours entendus dans leur force poétique et rythmique par les spectateurs[3]. Si les représentations d’Hernani ont donné lieu, selon la construction mythique élaborée a posteriori, à une bataille, si huit ans plus tard, la première de Ruy Blas suscite la colère d’une certaine critique et l’incompréhension de quelques doctes, cela résulte moins du heurt esthétique ou artistique subi par les « classiques », que d’un choc plus profondément culturel et moral, somme toute « idéologique[4] » – ni purement rhétorique, ni simplement politique. Le drame hugolien atteint et ébranle une série de représentations symboliques communément admises, brise un socle d’idées