Que vaut la formule « à chacun sa morale » ?
Introduction
Souvent, je vois quelqu'un faire quelque chose que je n'aurais pas fait. J'en conclus alors, avec un haussement d'épaules, que c'est décidément à chacun sa morale.
À chacun sa morale : celui qui agit d'une façon que je juge mauvaise n'est pas sans principes, il a simplement d'autres principes que moi, voilà ce dont je dois me convaincre. Au lieu de sans cesse juger autrui et de le condamner à partir de moi-même, mieux vaudrait faire montre de tolérance et admettre qu'en matière de mœurs, comme en toutes choses, le relativisme règne en maître. À chacun à sa vérité, à chacun sa morale : il n'y a pas de vrai en soi, il n'y a que des opinions qui toutes se valent. Il n'y a pas de commandement moral s'imposant à tous, il n'y a que des règles propres à chacun. L'essentiel est de nous entendre : seule est intolérable l'intolérance, c'est-à-dire la dictature de celui qui veut contraindre autrui à adopter « ses » règles ou « sa » vérité. Bref, à chacun de faire ce qui lui plaît et, tant du moins qu'il ne fait pas violence aux autres, tous s'en trouveront bien.
« Nous avons inventé le bonheur » : le constat serait excellent s'il n'était fait par celui que Nietzsche nomme « le dernier homme », qui en permanence « cligne de l'œil » et, pour qui rien, jamais, n'est sérieux. Car enfin, n'y a-t-il pas derrière cette tolérance qui, sous couvert d'accepter tout, devient la norme absolue de toute chose, un profond mépris des autres et une grande vanité face à soi-même ? Ne plus rien exiger de soi, ne plus rien attendre du monde, est-ce donc cela le bonheur ? Mais alors, qui sommes-nous devenus au juste pour ne plus tolérer qu'un commandement quelconque vienne restreindre nos caprices ? D'où vient que l'individu ait été à ce point sacralisé que la moindre de ses volontés vaille désormais comme règle impérative ?
I. Du « désespoir d'être soi » à l'éthique du consentement
Il est bien entendu par tous que, désormais,