Rhétorique du moi
Le MOI se pose comme le fondement de toute entreprise autobiographique, l’étymologie même le prouve. Presque lapalissade. Cependant, l’autobiographie appartient aux genres littéraires, même si elle se donne comme un document. Un premier paradoxe se fait jour : comment dire le vrai, reproduire la vérité dès lors qu’il s’agit de mettre en mots le travail d’une mémoire subjective ? Paul Valéry l’a dit sous une forme sentencieuse : « En littérature, le vrai n’est pas concevable ». En somme, on peut immédiatement se demander si ce moi qui se donne pour origine de l’ententreprise autobiographique n’est pas plutôt son produit. Par ailleurs, ce moi n’est pas une donnée, un présupposé ou un invariant : il évolue. Les expériences de la vie le changent, il est pris dans une perpétuelle recherche, l’écriture du moi étant une de ses formes. Plutôt que de parler DU moi, il faudrait donc parler des moi : celui de l’auteur qui rédige ces mémoires est différent de celui qui vivait cette vie devenue objet de récit. L’identité inchangée de l’écrivain est un leurre. Le « Je » n’est jamais univoque. Le mot autobiographie est donc loin de recouvrir une définition que l’on pourrait qualifier de lapalissade. Il met en jeu trois termes inconciliables :
Auto : le « je », mais pris dans un mouvement d’analyse, de réflexion. « Je » autotélique, c’est-à-dire qui a sa fin en lui-même. Difficulté du dédoublement, de se considérer comme un « autre » pour pouvoir écrire sa vie.
Bio : la vie mais prise dans une graphie, une écriture (moyen, instrument), qui la transforme, quels que soient les principes de sincérité ou d’objectivité affirmés par le texte. D’autant que le « je » n’est pas isolé. Le « Je » est social, familial, sexuel : moi et les autres. Se pose alors le problème du dévoilement d’autrui (dévoilement d’une part inavouée de soi aux autres, mise en lumière de la vie d’autrui à travers la sienne.