Rousseau
Les Fables de La Fontaine ont eu, en leur temps, un vif succès. Avant-gardistes, elles ne se plient à aucune des règles de la poétique classique. Bousculant les habitudes littéraires et la doctrine de l'époque, La Fontaine impose un style qui n'est pas loin d'être condamné par ces pairs. Fort heureusement, la grande majorité des lecteurs est enchantée par ses écrits et se soucie peu de savoir si les règles sont respectées ou non. Comme Molière le leur conseille, ils se laissent « aller de bonne foi aux choses qui les prennent par les entrailles ». C'est dire qu'ils jugent de la beauté d'une œuvre non selon les règles, mais avec leur goût. Et c'est aux exigences les plus fines de ce goût que répond La Fontaine.
Le siècle suivant prisera aussi les Fables, mais comme des productions d'un genre mineur. Elles commencent d'ailleurs à être récitées dans les classes; et les régents, au lieu d'en faire goûter la variété, en faussent le caractère en prétendant y retrouver une docile application des préceptes classiques.
C'est Rousseau qui portera avec Voltaire les attaques les plus vives contre ces fables : selon lui, elles contribuent à déformer la jeunesse par leur morale dangereuse.
Dès lors, pourquoi d'après Rousseau les Fables de La Fontaine ne sont pas destinées aux enfants ?
I Une morale dangereuse
"Du temps d'Ésope la fable était contée simplement; la moralité séparée, et toujours ensuite", écrit La Fontaine dans sa préface du premier recueil. Il remarque que déjà Phèdre « ne s'est pas assujetti à cet ordre ». Lui encore moins. On note une grande variété dans les rapports entre la « moralité » et le récit : pas de morale du tout (VIII, 2 ou XI, 8), morale en tête (VII, 2), morale à la fois en tête et à la fin (VIII, 17 ou VIII, 1), morale répartie en divers points du corps même de la fable (VIII, 14 ou VIII, 27). On repérera aussi le procédé de la morale-énigme : le narrateur s'interroge sur la portée d'un récit ou même hésite sur les