Les Sauvages d’Amérique du nord : modèle ou épouvantail ? Diderot n’hésite pas à attribuer le progrès des Lumières en Europe à la connaissance de ces peuples que l’on dénomme alors Sauvages,[?] et qui sont en fait- les Indiens d’Amérique du nord, de préférence ceux du Canada ; en tout cas, même si les Lumières peuvent aussi revendiquer d’autres sources, celle là reste une des plus importantes.[?] Sans nul doute, et dès le XVI e siècle, la rencontre des Européens et des Sauvages, pour sanglante et destructrice qu’elle ait été, a donné une impulsion très vive à la pensée libre et critique en Europe occidentale. Leur seule existence, avec ce que l’on a d’abord cru être une totale absence de religion, ébranle la prétention des Eglises qui se référaient à un accord universel sur la croyance en Dieu, elle ébranle aussi la prétention de faire de l’ordre social et politique existant en Europe le seul ordre concevable, elle propose un autre modèle marqué par des différences radicales. Et qui entraîne sur la voie d’une critique résolue du droit de propriété individuelle . Et pourtant on assistera à un complet retournement de la perception de ces mêmes Indiens après la Révolution française, au point que l’on en a dorénavant une vision totalement négative. On voudrait ici essayer d’expliquer ce retournement. Quelques précisions préalables sont nécessaires. D’abord la définition courante au XVIII e siècle des Sauvages comme de peuples essentiellement nomades, sans domicile fixe comme sans lois ni culte, ne devrait pas être prise au pied de la lettre. De fait les nations indiennes du Canada , comme celles qui bordent les colonies anglaises de terre ferme, et dont la fraction masculine se livre à de longues errances de chasse pendant l’hiver, n’en occupent pas moins un espace approximativement défini, même sans tracé de frontières. Surtout, les relations entre Français colonisateurs et nations indiennes au Canada sont un phénomène singulier. Ces