Sciences po
I. Rouge écrevisse
Dès le premier jour de janvier, le bruit s’était répandu : ce serait une année ensoleillée. Une étrange combinaison astrale incluant Jupiter, Uranus et une paire de constellations, garantissait selon tous les spécialistes une température moyenne de 26 degrés sur les 12 prochains mois, pour une pluviométrie globale de 40 mm, étrangement concentrée sur les dimanches. En comparaison, Paris avait connu un pic de précipitations l’année précédente, et le changement avait été à ce point radical qu’au premier coup de minuit le 1er janvier, les fêtards éméchés avaient pu assister à un spectacle de premier choix quand la tempête qui sévissait depuis des heures s’était brusquement dissipée, laissant entrevoir une aurore boréale aux couleurs rougeoyantes. En plein milieu de la nuit, on y voyait comme en plein jour, ce qui ne manqua pas d’étonner les malheureux voyageurs en pleine lutte contre le décalage horaire et qui voyaient d’un seul coup tous leurs efforts pour le combattre réduits à néant. Très vite, des foules se massèrent dans les rues désormais chaudes pour assister à ce prodige, et engendrèrent de ce fait un joyeux désordre. Agacés par ce curieux phénomène, les patrons de cafés, dont la clientèle s’éclaircissait, s’entendirent aussitôt pour lancer une campagne de cocktails gratuits qui, seule, permit de rétablir une concurrence loyale au détriment des intérêts sanitaires les plus élémentaires. Le succès de l’entreprise prit de cours ses instigateurs, et la fête n’en fut d’ailleurs que renforcée. Le taux d’alcoolémie moyen à quatre heures battait des records ; quant au personnel de santé, il prenait une part active à la fête, si bien que certains rabats-joie alimentèrent des inquiétudes féroces sur les conséquences d’une telle chienlit. L’histoire prouva leur erreur et nombre d’entre eux, regrettant de n’avoir pas profité comme il se devait d’une pareille nuit de joie nationale, tombèrent par la suite en dépression. Les cafés