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Comment Candide connut la richesse en images et la misère réelle, et comment il fut chassé des deux
Candide, chassé du paradis terrestre, marcha longtemps sans savoir où, pleurant, levant les yeux au ciel, les tournant souvent vers la plus belle des demeures qui renfermait la plus belle des demoiselles ; il arriva ainsi à une ville et entra dans les premiers faubourgs. Partout d’immenses panneaux de papier proposaient aux hommes divers objets apparemment fort utiles, comme des fours micro-ondes, des voitures très rapides, des brosses à dents électriques, des sous-marins nucléaires, des couverts à poissons, des Boeing 747, du vin en cubes, des bateaux avec plongeoir, ou des chiens fatigués.
Candide, qui allait d’étonnement en éblouissement, se disait que c’était bien là le meilleur des mondes, que les hommes qui vivaient ici ne pouvaient qu’être heureux, car non seulement on tenait à leur disposition toute cette richesse ; mais encore les personnes bienfaisantes qui créaient ces merveilles, les informaient au fur et à mesure de l’arrivée de ces produits dans les officines spécialisées dans leur distribution, et même dépensaient des fortunes, seulement pour le leur faire savoir gratuitement. De plus il croyait reconnaître çà et là sur les femmes des affiches des beautés qu’il n’avait eu que le temps d’entrevoir chez Cunégonde, et cela en même temps le navrait et le comblait d’aise. Cependant au fur et à mesure qu’il avançait dans la ville, les panneaux devenaient plus nombreux et en même temps de plus en plus d’hommes, de femmes et d’enfants marchaient dans les rues. Tous étaient sales, et leurs vêtements pendaient en lambeaux sur des membres grêles. Leurs yeux semblaient hagards et leurs visages blêmes étaient tournés vers le sol. Ils ne regardaient jamais les affiches rutilantes qui se trouvaient audessus de leurs têtes.
Candide s’approcha d’une femme et lui demanda pourquoi, au lieu de supporter tant de misère, elle ne se