Serais-je moi-même sans autrui?
Les romantiques revendiquaient la singularité profonde du moi, singularité qui nous viendrait d’un noyau irréductiblement mystérieux situé dans les profondeurs de notre être, âme ou esprit. Ce qui nous caractérise donc avant toute chose c’est notre individualité, notre unicité qui tiendrait presque de l’inintelligible mais que pourtant nous ne pourrions, a priori, pas réfuter. L’expérience première que nous faisons de nous-même nous incline bien à penser que nous sommes, en reprenant les termes de Descartes, une res cogitans– qui est une- contenue dans un corps – qui est un. Nous appréhendons le monde extérieur d’un point de vue unique, le nôtre, et de ce fait nous avons l’immédiate impression d’être un individu à part entière. Tandis que notre perception du monde nous amène à classer ses différents constituants en catégories (chat, chaise, homme, femme, enfant, technologies, plantes etc.) et par là, à considérer ce qui nous entoure comme des objets classifiables (y compris des personnes : untel fait partie des gens gentils, généreux, untel fait partie des personnes colériques, spontanées etc.), nous avons l’intime impression d’être plus qu’un simple objet, d’être quelque chose qui ne se réduit pas à une énumération de caractéristiques. De ce fait, nous nous sentons pleinement uniques, notre « soi- même » nous apparaît comme quelque chose de profond, singulier et presqu’insaisissable pour autrui. Dans cette perspective, peu importe la présence ou l’absence d’autrui puisque ce qui fait que je suis moi-même c’est simplement, et avant tout, que je suis. D’ailleurs, la méditation, la vie en ermite, recluse de tout contact social se présentent comme des solutions pour se retrouver avec soi-même, retrouver son intégrité… ce qui signifie en demi-teinte qu’autrui est un frein si l’on veut être soi-même. Ainsi la Princesse de Clèves dans le roman de Madame de La Fayette aspire-t-elle à retrouver du repos et son intégrité,