socio
Laurent MUCCHIELLI et Jean-Christophe MARCEL
(Texte publié dans Mucchielli L., Robert Ph., dir. Crime et sécurité : l’état des savoirs,
Paris, La Découverte, 2002, p. 53-63)
Présenter en si peu d’espace le développement des recherches en sociologie du crime depuis un demi-siècle peut paraître une gageure. Elle a cependant semblé nécessaire en ouverture d’un bilan des savoirs. Ce n’est pas l’exhaustivité des recherches et des publications qui sera ici recherchée, ni l’analyse complète des relations entre les personnes et entre les institutions, mais plus simplement la mise en évidence des cadres institutionnels et paradigmatiques qui ont présidé au développement des recherches scientifiques au fil des ans.
De Lévy-Bruhl à Davidovitch : reprendre une tradition durkheimienne
Au temps de la « Belle époque » (les années 1880-1914), le crime était potentiellement un des objets privilégiés de la construction des savoirs dans le cadre universitaire naissant des sciences humaines. Les années 1880 consacrent de fait l’affirmation de ce domaine de recherches sur un plan européen. Cependant, en France, contrairement à d’autres pays, la criminologie ne sera jamais une discipline universitaire à part entière. À l’époque, cette science qu’animent essentiellement des médecins et des juristes (pénalistes) est le plus souvent dénommée anthropologie criminelle. De leur côté, les deux grandes figures intellectuelles qui se disputent le leadership pour incarner les nouvelles sciences sociales vers 1900, Émile Durkheim et Gabriel Tarde, sont suffisamment occupées à faire reconnaître institutionnellement ce que le premier appelle « Sociologie » et le second « Interpsychologie » [Mucchielli, 1997a]. Malgré ses responsabilités à la direction de la statistique judiciaire et son prestige acquis dans la confrontation avec l’école italienne de Lombroso, Tarde ne cherchera pas à développer une recherche collective en ce