Pas d'idées au parti socialiste ? Il faut pourtant créditer Martine Aubry d'un authentique désir de philosophie. Elle s'apprête à publier chez Odile Jacob un ouvrage collectif, Pour changer de civilisation, avec cinquante chercheurs. L'an dernier, elle a lancé dans Le Monde une offensive en appelant à créer une « société du care », reprenant à son compte un courant féministe américain prônant la sollicitude et le respect d'autrui. Certes, le cri du care n'a pas été très bien accueilli. Néanmoins, une rencontre entre la première secrétaire du parti socialiste et le philosophe Bernard Stiegler, auteur de Prendre soin de la jeunesse et des générations (Flammarion, 2008), s'imposait. Bernard Stiegler a fondé l'association Ars industrialis au sein de laquelle il réfléchit à l'économie de l'immatériel, aux « industries de programme » et aux « technologies de l'esprit » ; or la politique industrielle est au coeur de la réflexion de la maire de Lille, ministre de l'Emploi et de la Solidarité de 1997 à 2000. Lors de la dernière campagne présidentielle, Bernard Stiegler s'est constitué force de proposition pour les socialistes, en discutant les idées de Ségolène Royal dans La Télécratie contre la démocratie (Flammarion, 2006) et De la démocratie participative (avec Marc Crépon, Mille et Une Nuits, 2007). Sur le soin, l'industrie, l'égalité réelle, le juste échange, Martine Aubry et Bernard Stiegler avaient beaucoup à se dire. Mais, s'ils emploient les mêmes mots, attention : ils ne leur donnent pas toujours le même sens ! Rien de tel qu'un échange pour comprendre si leurs perspectives sont convergentes ou parallèles…
L'un des points marquants de la « Convention pour un nouveau modèle de développement » adoptée par le PS en mai dernier, c'est la volonté de ne pas se résigner à la désindustrialisation de la France. À quoi pourrait ressembler une réindustrialisation du pays ?
Martine Aubry : La crise dans laquelle nous nous débattons n'est pas simplement une crise