Spectateur voyeur
C'est peu dire que s'immerger dans Le Voyeur relève de l'expérience, voire du choc. Notamment pour le cinéphile... D'abord, parce que l'on s'aperçoit d'emblée, dès les premières images, à quel point ce long métrage, datant de 1960, est au cœur des interrogations du 7e art actuel. Un anti-héros obsédé par le cinéma et la peur, tueur fou qui filme l'agonie de ses victimes ; un spectateur lui-même mis dans la position du voyeur : voilà pour l'argument. Sidérant de modernité. Car nul doute que tout cinéaste d'envergure est amené à se confronter, aujourd'hui, à cette oscillation irrésistible : dans quelle mesure la caméra n'est pas l'arme d'un crime (ou d'un mensonge), réel comme ici, ou symbolique de toute façon...? On pense notamment, pour ne citer que les plus grands, aux Cronenberg, Scorsese ou Haneke, qui, taraudés par le refoulé de nos sociétés névrotiques, sont hantés par la représentation de la violence (corollaire inévitable). On comprend mieux, dès lors, pourquoi Bertrand Tavernier, en France et Martin Scorsese, aux États-Unis, archivistes boulimiques, admirateurs insatiables, ont œuvré à la reconnaissance (tardive) de cette pièce maîtresse du cinéma