Steiner la haine du livre
ce XXe siècle enfin achevé. Qu'il fut, de toute l'Histoire, celui où l'homme s'est montré le plus abominable à l'égard de ses semblables, est désormais une triste évidence. Qu'on puisse en même temps le créditer des plus formidables avancées de nos connaissances et de nos modes de vie n'est pas une contradiction. Mais une interrogation décisive pour la suite des événements: ne faut-il pas vivre avec l'idée d'un être humain qui, malgré ses apparences de progrès, reste incarcéré dans sa nature profondément barbare? Un homme qui, en dépit de l'épanouissement de sa culture, n'est pas civilisé? L'écrivain et philosophe George Steiner en fait depuis longtemps la matière de ses réflexions.
Vous qui avez passé des décennies à observer vos contemporains en prenant toujours pour grille d'analyse la culture classique, quel regard portez-vous sur ce siècle achevé? Le siècle le plus meurtrier de l'histoire humaine... les deux guerres dites «mondiales» furent avant tout des guerres civiles européennes.
La barbarie serait en quelque sorte fille de l'Europe? Les idéologies totalitaires, utopies de la mort, que furent le nazisme et le léninisme-stalinisme, plongent leurs racines dans l'histoire de l'Europe. La chrétienté commence avec les grands massacres de la Rhénanie, les croisades, les meurtres des juifs et des musulmans. Est-ce que cela devait mener à la Shoah? L'affirmer serait faire preuve d'un déterminisme un peu naïf. Mais, dès ce moment, le massacre était à portée de pensée, il était «conceptualisé». Tout cela, c'est l'Europe.
La technologie du nettoyage racial, y compris l'indicible horreur des mutilations