Suicide
300 à 400 salariés se suicideraient en France chaque année1 sur leur lieu de travail. Impossible de ne pas faire le rapprochement entre souffrance et situation professionnelle. Tout en explorant cette piste, les cliniciens font part de leurs inquiétudes sur ce phénomène dangereusement banalisé. Rencontre avec l'un d'entre eux, Christophe Dejours, psychiatre et directeur du Laboratoire de psychologie du travail et de l'action2. Celui-ci contribue à l'élaboration d'un guide pratique sur la conduite à tenir en cas de suicide3. Vous vous penchez sur l'ultime témoignage de la souffrance au travail, le suicide dans l'enceinte de l'entreprise4. Un fléau qui touche toutes les catégories socio-professionnelles, des ouvriers aux cadres. Ce travail de recherche est un des rares sur le sujet, pourquoi ?
Christophe Dejours : Parce que ce phénomène est récent, cliniquement nouveau. Il est apparu il y a une huitaine d'années. Avant cela, il touchait exclusivement les agriculteurs et salariés agricoles acculés par les dettes et dont lieux de vie et de travail se confondaient. En dehors d'eux, si l'on se réfère aux archives de la médecine du travail, les suicides se commettaient généralement dans l'espace privé. Il était donc difficile de démontrer que le rapport au travail pouvait être en cause. Qu'est-ce qui a déclenché cette apparition du suicide sur la scène professionnelle ?
C.D. : Un des éléments déclencheurs est la dégradation profonde du « vivre ensemble », les gens sont très seuls face à l'arbitraire. Il y a toujours eu de l'injustice ou du harcèlement dans l'entreprise, mais autrefois, les syndicats, entre autres, scellaient les solidarités. Aujourd'hui, avec l'effritement de ces solidarités et la peur de la perte d'emploi, la convivialité ordinaire elle-même est contaminée par des jeux stratégiques qui ruinent les relations de confiance et colonisent l'espace privé. Notamment chez les cadres, dont la vie tout