Synthèse d'auteurs
Discours sur l’origine et les fondements de la femme sociale
par Shane Agin
Pittsburg, Etats-Unis
A en juger par les documents policiers et judiciaires de l’époque, le viol se produit rarement dans la France de l’Ancien Régime. Et dans les quelques attestations du crime qui existent, la victime correspond à un sexe, à une classe sociale, à un âge ou à un état physique particulier. D’après les dossiers criminels et les comptes-rendus de la cour, c’était donc plutôt difficile de se faire violer dans la société de ce temps. C’est peut-être ce manque de documentation, ce manque en fin de compte de crime, qui empêchait les historiens français, avant Georges Vigarello, de mener des enquêtes sur la nature et le développement du viol. Comme Vigarello le déclare dans l’incipit de son livre, L’Histoire du viol : XVIe-XXe siècles, publié au Seuil en 1998, « [l]’histoire du viol n’est pas écrite. »1.
Mais si l’histoire du viol n’est pas écrite, les histoires de viol sont fréquentes dans la littérature du XVIIIe siècle.
Il suffit de se rappeler le viol et la mort de Cunégonde de Candide, l’histoire de la fausse accusation du viol révélée par un bijou indiscret dans l’œuvre du même titre de Diderot, ou les nombreux viols répétés de façon banale et banalisante chez Sade, pour commencer à se former une idée de la fréquence de ce thème devenu presque un leitmotiv dans la littérature de l’époque. Pourtant, de tous les exemples de viols trouvés dans la littérature du XVIIIe siècle, ceux qui ont le plus marqué la période furent incontestablement les viols des héroïnes éponymes de Pamela et Clarisse (1747-48 ; traduction française par l’abbé Prévost en 1751) de Samuel Richardson.
A en croire Diderot dans son Eloge de Richardson (1762), toute une génération de lecteurs et de lectrices fondait en larmes au récit du viol de la vertueuse Clarisse par le vilain Lovelace. Et en pleurant cette scène et le tragique sort du personnage principal du roman,