Temoignage et fiction
François Rastier : Le témoignage comme entreprise éthique dépasse le témoignage comme genre littéraire (je n’ai pas hésité à intituler un chapitre L’art du témoignage) : il n’est pas exclu qu’un essai comme I sommersi e i salvati dépend du même pacte testimonial que
Se questo è un uomo.
Le témoignage littéraire peut avoir les effets d’attestation d’une déposition — mais à la différence d’une déposition, il peut inclure des poèmes (c’est le cas chez Levi, avec l’épigraphe et les citations de Dante – on renoue alors avec la tradition de la Vita (Vita Nuova de Dante) – c’est aussi le cas de Klüger dans Weiter leben – dont le titre est scandaleusement traduit en français par Refus de témoigner, mais qui est bel et bien un témoignage. PM : S’il y a une dimension des textes testimoniaux qui les fait reconnaître dans le domaine de la littérature et, en cela, le témoignage sort du juridique et de l’historiographie dans lequel il est généralement affecté, c’est que l’écriture même de ces textes recèle une dimension littéraire. Oui, la qualité littéraire assure aussi la perennité du témoignage : sans l’Iliade, Troie serait oubliée et Schliemann ne l’aurait pas cherchée. La qualité littéraire a aussi une valeur de résistance : par son caractère littéraire, le témoignage élève une protestation contre la privation d’humanité et la destruction corrélative de la culture. Il transmet ainsi les valeurs déniées. Le témoignage est une preuve par lui-même, parce qu’il émane d’un survivant et d’un témoin direct. Mais n’est qu’un document, la vérité positive est du ressort de l’historien.
En littérature, le témoignage est